Boumaiz Omar correspondant Matchpresse en France
Surnommé “la perle noire”, Larbi Ben Barek fut un attaquant exceptionnel, reconnu pour son incommensurable talent. Mais le destin du footballeur marocain s’est heurté à une époque tourmentée. Portrait.
Il a été la première grande star du football arabe et africain. «Si je suis le roi du football, alors Ben Barek en est le dieu». Ce compliment fut adressé par Pelé, la légende Brésilienne, qui estima lors de son voyage au Maroc en 1976 que Ben Barek était le meilleur joueur de son époque. Bien avant le numéro 10 de la Seleçao, le gamin des bidonvilles de Casablanca fut affublé du surnom de “perle noire”. Son histoire et sa trajectoire épousèrent les tumultes du 20e siècle : colonisation, décolonisation et Seconde Guerre mondiale. Témoin de son époque, il vécut les affres du fascisme lors de sa première cape avec l’équipe de France, en 1938 à Naples, où il fut insulté en raison de son teint de peau tout comme Raoul Diagne, d’origine sénégalaise, une des autres vedettes de l’époque…
Mais avant d’arriver dans le monde impitoyable des adultes, comme toutes les grandes stars du football mondial, il avait commencé à caresser le cuir dans les ruelles et les dédales de la capitale économique du Royaume Chérifien. Né en 1917 à Casablanca, il fut repéré à 20 ans par l’Olympique de Marseille, destination naturelle pour les Nord-Africains. Avant Salif Keita et son taxi pour la gloire qui le conduisit de l’aéroport d’Orly à Geoffroy-Guichard alors que personne ne l’attendait, Larbi Ben Barek débarquait lui dans la cité phocéenne incognito, descendant de la cale du bateau pour rejoindre le quai. Sous les couleurs de l’OM, il évolua une seule saison mais frappa les esprits d’une manière rare. Après trois mois de compétition, l’attaquant était convoqué par Gaston Barreau, le sélectionneur des Bleus. Un record de précocité. Ses qualités de dribbles, de puissance et de vélocité en firent un footballeur remarquable et remarqué. Associé à Emmanuel Aznar, le pied-noir aux pieds d’or, star de l’OM, la pépite marocaine inscrivit douze buts…
Après le triste Italie-France (1-0) à Naples, il éclabousse le Parc des Princes de son talent contre la Pologne (4-0), impliqué sur trois des quatre buts. Et il récidive face à la Hongrie avec son premier but international. Il n’en fallait pas plus pour que le quotidien l’Auto organise un appel aux lecteurs afin de lui trouver un surnom. Le 8 février 1939, il devient la “perle noire”… Mais comme toute sa génération, il est brisé dans son élan. La Seconde Guerre mondiale éclate et le renvoie vers Casablanca, où il porte de nouveau les couleurs de l’US Marocaine, son club formateur (1930-1938). Lors du conflit européen, avec la sélection d’Afrique du Nord, il affronte la France, exilée en 1943 à Casablanca. C’est Marcel Cerdan, futur champion du monde de boxe surnommé “le bombardier” qui sert “la perle noire” pour l’égalisation (1-1). A l’étroit au Maroc, où il surnage, il est de retour dans l’hexagone en 1945 à Paris au Stade Français, où il rejoint une Dream Team emmenée par l’entraîneur italien Helenio Herrera, l’inventeur du Catenaccio.
Son transfert est alors estimé à un million de francs, un record à l’époque. Rappelé en équipe de France, il n’y brille plus, et semble être exfiltré pour des raisons non avouables… Tant pis, c’est en Espagne, proche de son Maroc natal, qu’il va enchanter le monde du football. Avec l’Atletico Madrid, il remporte deux Liga (1950 et 1951) et régale le stade du Metropolitano, justifiant son recrutement à prix d’or : 17 millions de francs. De l’autre côté des Pyrénées, il gagne un nouveau surnom, “le pied de dieu”, et une véritable aura internationale. Sous le maillot des Colchoneros, cet attaquant au style comparable à Pelé enfile les buts comme des perles (60 en 122 apparitions). A 37 ans, il goûtera une dernière fois au maillot des Bleus. L’artiste est sélectionné par acclamation du public lors d’un match de bienfaisance pour les victimes du tremblement de terre de Chlef (Algérie), au Parc des Princes entre la France et une sélection maghrébine en 1954. Les 30 000 spectateurs sont subjugués par la virtuosité des Nord-Africains (Zitouni, Arribi, Ben Tifour, Meftah, Belaïd…) qui finiront par l’emporter 3 à 2. Une dernière cape plus tard, avec la France contre la RFA le 16 octobre 1954, il s’en va en… Algérie. Il termine sa carrière à Sidi Bel-Abbès, dans l’ouest du pays.
Tout au long de sa carrière, et notamment lorsqu’il quitte le Stade Français pour l’Atletico Madrid en 1948, il subit le racisme ordinaire où les représentations des Français musulmans sont puisées dans l’idéologie coloniale. Lors de son départ, Berdignans, alors vice-président du groupe des clubs, sorte de LFP de l’époque, le renvoie à ses origines : «Ben Barek n’est pas un sujet de nationalité française, encore qu’il figure dans l’équipe de France. Il ne peut donc être question de le retenir chez nous.» Mais finalement, seul l’OM rendra hommage à celui qui fut l’un des plus grands talents du vingtième siècle, précurseur de tant d’autres Franco-Maghrébins aux arabesques merveilleuses… En partie oublié par les siens, l’Algérie lui redonne le sourire en avril 1988. II est invité par l’Equipe du FLN. Là, il retrouve Rachid Mekhloufi, Said Amara, Mustapha Zitouni, et tous éprouvent un immense respect pour cette étoile incandescente qui s’éteint finalement seul le 16 septembre 1992 dans son appartement de Casablanca. Son corps est retrouvé trois jours après son décès. Triste fin pour celui restera comme un monument du football africain, et même plus.